Recherches archéologiques à la Kasbah de Tunis

Recherches archéologiques à la Kasbah de Tunis

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1ETAT DES TRAVAUX.

Le Centre de Recherche Archéologique et Historique de l’Institut National d’Archéologie et d’Arts a été saisi le 27 janvier 1969 du projet de construction de la «Maison du parti »sur l’emplacement de l’ancienne caserne militaire de la Kasbah de Tunis. Le 3 février 1969 on entreprit deux sondages Al et A2 à 100 m à peu près à l’Est du bastion Nord de Bab Sidi Abdallah à l’intérieur de l’espace destiné à accueillir l’édifice en question (pi. I).
Ces sondages ayant été négatifs, on a décidé d’explorer la place plus à l’Est, car le projet prévoit l’utilisation de tout le terrain pour l’esplanade qui doit s’étendre du pied de la Maison du Parti jusqu’à la Place du gouvernement.
Ainsi on pratiqua deux autres sondages carrés de 10 m de côté Cl et C2 au pied de la muraille Sud de la Kasbah derrière le parc automobile du Secrétariat d’Etat à la Présidence, et un sondage en z B face au Secrétariat d’Etat aux Affaires Culturelles au bord de la rue qui joint la Place du gouvernement au Boulevard du 9 avril.
Le sondage B donna lieu à une véritable fouille tandis que les deux autres son­dages Cl et C2 se montrèrent tellement riches en tessons de céramique qu’on décida d’ouvrir un troisième chantier C3, à proximité des deux autres.
La fouille B s’étend actuellement sur une zone de plus de 30 m de long sur 25m de large, (fig. 1). A l’intérieur de ce rectangle, après avoir enlevé les débris du sol de la caserne française, nous sommes tombés sur une couche de remblai qui va jusqu’à 8 m de profondeur à certains endroits.
Dans ce remblai des ruines de diverses époques nous ont été révélées qui tra­duisent, ainsi que la riche collection de pièces de poterie et de céramique, la forte occupation des lieux.
Nous n’étudions dans le cadre de cet article que l’ensemble architectural qui présente une certaine cohérence (pi. II).
Pour le reste nous attendrons l’élargissement du champ de fouille. Quant aux résultats du sondage D fait plus au Nord, nous comptons les étudier à part dans un prochain article car nous supposons que les vestiges trouvés font partie d’un en­semble architectural plus important qui n’est pas encore complètement dégagé.

2DESCRIPTION DES VESTIGES

2.1LES FOURS :

A environ 2,75 m de la surface, sous une couche de terre noire d’une trentaine de centimètres d’épaisseur, correspondant sans doute à une époque d’abandon où l’endroit a du servir de dépôt de détritus, nous avons trouvé un pavage en briques cuites carrées de 0,25 m de côté, de couleur rougeâtre rendue un peu grise à certains endroits par l’action du feu.
L’extension des travaux a mis au jour trois fours circulaires placés côte à côte regardant vers le Nord.
Les murs de ces fours sont également en briques cuites rectangulaire de 0,30 m de long sur 0,15 m de large et 0,03 m d’épaisseur. Il semble même qu’ils aient reçu comme couverture une coupole semi-sphérique pareillement bâtie en briques po­sées à plat. En effet nous avons dégagé de l’intérieur des fours une quantité considé­rable de ces matériaux.
D’autre part nous avons aperçu, taillé dans le pisé du mur Ouest, le profil de la coupole demi-sphérique qui couvrait le four de droite qui, faute d’espace dispo­nible, a mordu dans le mur voisin (fig. 1′). La mesure de la portion d’arc inscrite dans le mur nous permit de déterminer la courbure de la coupole du four en ques­tion et, par comparaison, nous avons également restitué les autres coupoles (pi. III).
Contrairement au four de droite, les deux autres ont disposé de tout l’espace nécessaire au tracé parfait de leur circonférence. Le four du centre empiète sur son voisin de droite à leur point de tengeance si bien qu’ils ne possèdent à ce point qu’un mur commun.
D’ores et déjà il nous semble que le constructeur s’est trouvé en face de diffi­cultés dues à la nécessité d’adapter les dimensions et l’emplacement des fours aux exigences d’un espace exigu qui ne semble pas avoir été destiné à l’origine, à ac­cueillir un monument d’une telle envergure.
Devant les fours, le niveau du sol dégagé atteint quatre mètres de profondeur. Il en résulte que les fours se trouvent surhaussés grâce à une sorte de vaste banquette de 10 m environ de long sur 5 m de large et 1,25 m de haut. Ils dominent un couloir
qui s’étend d’Est en Ouest sur toute la façade et sur lequel s’ouvrent les trois baies d’enfournement.

2.1LE COULOIR TRANSVERSAL

Un ensemble de quatre colonnes détermine, au milieu du couloir et face au four central, un espace à peu près carré de 2,64 m sur 2,67 m.
Vis à vis des deux colonnes Ouest des restes de corbelets sont plantés dans l’épaisse muraille (fig. 1 ). Colonnes et corbelets ont du servir en même temps que les piliers pour soutenir le plafond qui couvrait l’édifice. Nous avons dégagé du remblai les restes d’une voûte d’arêtes effondrée dans la salle S 2. Nous supposons par conséquent que le plafond était voûté. D’ailleurs il subsiste encore sur le pilier Ouest adossé au mur A B le départ de l’arc qui a dû servir pour supporter la voûte.
On accède à ce couloir par deux entrées : une entrée latérale marquée par un seuil, une autre aménagée entre les salles SI et S2 (fig. 3). En face de l’entrée laté­rale une petite banquette de 0,70 m de long sur 0,60 m de large s’adosse au fond contre le mur; des débris de murs bas (peut-être bien les vestiges de deux autres banquettes analogues ou des tables en maçonnerie) de 0,50 m de hauteur et 0,80 m de largeur regardent vers le nord, l’un devant la salle S2 l’autre en face du couloir longitudinal (fig. 1).

2.2LE COULOIR LONGITUDINAL

II coupe le premier couloir en angle droit formant ainsi une sorte de T dont le bras gauche est à moitié amputé (fig. 3).
On distingue deux parties : l’une (Cl) s’arrête à la limite nord des salles SI et S2, l’autre (C2) aboutit au mur qui limite au Nord l’ensemble de l’édifice ainsi que la fouille entière (fig. 2).
Le couloir C2 se trouve à un niveau légèrement plus bas que le couloir Cl. Tous les deux ainsi que le couloir transversal sont en légère pente Sud-Nord. (Fig. 1 ). Leur sol est enduit d’une couche de chaux.

2.2LE COULOIR (C2)

Ouvre au nord sur la grande salle S4, la plus importante de tout l’édifice; le mur E F limite de ce côté l’ensemble de la fouille.

2.3LES SALLES

Actuellement nous ne distinguons que quatre salles de différentes dimensions qui s’articulent selon les deux axes déterminés par les deux couloirs.

2.3.1LA SALLE (SI)

Elle reste pour nous énigmatique. De faibles dimensions et ayant reçu un dal­lage en briques cuites de couleurs jaune et rouge, elle est surélevée par rapport au ni­veau des couloirs d’une cinquantaine de centimètres, si bien que pour y accéder il aurait fallu au moins une marche d’escaliers et de toute façon une porte. Mais rien ne signale l’emplacement d’une marche et aucun indice ne permet d’identifier avec précision l’emplacement de la porte.
Nous supposons toutefois qu’on y accédait par le couloir Cl et qu’elle recevait l’air et la lumière par une fenêtre ouverte dans le mur est : une petite brèche prati­quée dans l’angle Sud-Est serait en effet le vestige probable d’une fenêtre (fig. 2).

2.3.1LA SALLE (S2)

Elle est pavée de la même façon que la salle SI avec en plus un certain souci décoratif dans l’appareillage des briques.
La porte est légèrement désaxée vers l’Est à cause de la colonne qui occupe justement le milieu du mur (fig. 3).
Cette colonne ainsi que celle qui occupe l’angle sud-est de la salle sont à moitié ou aux trois quarts engagées. Les deux qui leur font face sont également engagées dans la maçonnerie du mur.
Les quatre colonnes perdent ainsi toute fonction esthétique au seul profit du rôle fonctionnel auquel elles étaient destinées.
Un mur en pisé d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur sépare la salle S2 de la salle S3 (fig. 4).

2.3.2LA SALLE (S3)

Elle attire l’attention surtout par son dallage qui était relativement bien fait. En effet on y a employé de belles dalles en kadhal assez épaisses et de dimensions inégales.
Bien que la majeure partie des dalles ait disparu, celles qui restent et la trace des autres conservée dans le sol, prouvent avec combien de soin on s’est attaché à les bien juxtaposer (fig. 4).
La bonne qualité de ce genre de matériau qui joint à la beauté de son aspect, la solidité et la dureté explique qu’on s’est donné la peine de les arracher pour proba­blement les remployer ailleurs.

2.3.3LA SALLE (S4)

Au milieu du mur qui sépare la salle S3 de l’ensemble architectural S4 exacte­ment sur le même alignement que les piliers PI et P2, nous avons dégagé, sur un soubassement en pierres de taille, une dalle en marbre rectangulaire de 0,55 m sur 0,46 m. Juste à côté du soubassement une base de colonne (Bl) est trouvée renver­sée sur le sol de la salle S3. Ramenée au-dessus de la dalle de marbre, la base a exac­tement épousé les dimensions et les déformations de l’emplacement. Il y a donc lieu de croire qu’il existait là une colonne qui a servi, de la même façon qu’à la salle S2, de support à une voûte et de point d’appui au mur de séparation.
L’angle Nord-Est de la salle S3 conserve lui aussi presque à ras du sol, une dalle (Dl) identique à la précédente. Elle signale l’emplacement d’une colonne, aujour­d’hui disparue, qui fut la réplique de la colonne angulaire de la salle S2.
Avec le dégagement d’un autre soubassement surmonté d’une base de colonne B2 se trouvant dans l’alignement PI – P2, ainsi que d’une dalle (D2) placée à même le sol et à égale distance entre Dl et P3, nous avons là, reconstituée, la réplique par­faite du dispositif précédemment signalé devant les fours.

2.4LES OUVERTURES

Pour cette grande salle, comme pour les autres, se posent le problème de l’éc­lairage et celui de l’aération.
Il est d’autant plus compliqué que les murs de cloison sont souvent très bas, et ne conservent pas de trace de fenêtres. Les murs extérieurs sont massifs, élevés et sans ouverture sur l’extérieur à l’exception de la porte ouvrant sur le couloir trans­versal.
Toutefois, il nous reste les vestiges très nets d’une porte aveugle qui ouvrait à l’Est du grand four latéral (fig. 5 et 6). Sans doute a-t-on dû l’obstruer lors de la construction des fours dont la présence à cet endroit la rendait inutile.
II semble même que nous avions sa contrepartie dans le couloir C2 où une ou­verture apparaît dans le mur en mœllons face à la salle S3. Cette brèche est nettement signalée à l’extérieur par un pavage de chaux et un seuil constitué de tessons de céra­mique juxtaposés.
Aussi bien la première que la deuxième entrée ont une largeur de 1,40 m à peu près. La première se trouve à environ 2,50m du mur A B ainsi que la deuxième par rapport au mur C D. Cette symétrie est très significative, car elle n’est pas le fait d’un pur hasard. Nous aurons l’occasion de le prouver par la suite.

2.5LES MURS DE CLOISON

Le mur en pisé d’une cinquantaine de centimètres qui sépare la salle S2 de la salle S3 ne s’arrête pas en fait à la limite Est de ces salles, mais traverse le couloir pour rejoindre le mur A C. C’est ce que nous avons observé grâce à un sondage exé­cuté devant l’extrémité Nord du couloir Cl, (fig. 7).
Par conséquent, le mur C D qui sépare les salles S2 et S3, délimitait avant le prolongement du couloir longitudinal deux secteurs : un secteur Nord (ABCD) et un secteur Sud (CDEF).
A l’exception du mur C D qui est un mur en pisé, tous les autres murs de cloison sont construits en mœllons assez régulièrement disposés dans l’ensemble. Cette par­ticularité du mur C D confirme notre opinion : à l’origine il était conçu comme mur extérieur qui isolait deux constructions indépendantes. Aussi les murs A B, B F et A E sont-ils entièrement ou en grande partie construits en pisé.
Le mortier employé dans la bâtisse de pierre est constitué d’un mélange à base de chaux et de cendres. Mais le plâtre est également utilisé en particulier dans les constructions où entre en jeu la brique. Telle par exemple, la voûte effondrée de la salle S2.
Le plâtre est d’ailleurs assez souvent utilisé comme enduit ainsi qu’on le voit sur les parois de l’ouverture obstruée (fig. 5). Mais la plupart du temps on couvre les murs d’un mélange de sable fin et de chaux.

2.6LES MURS EN PISE

Quant aux murs en pisé, leur béton n’est pas partout identique ni d’égale puis­sance.
On remarque en gros deux variétés de pisé : celui employé dans le mur C D qui est un mélange de terre, de chaux, de tessons de poteries, de pierrailles, de débris
d’ossements et surtout beaucoup de cendres qui donnent au mur une couleur gri­sâtre ponctuée de points noirs en raison des nombreux morceaux de charbon qu’il contient.
Ce genre de pisé est également utilisé au mur Est (AE) et dans une portion du mur Sud à partir de la ligne en pointillé (A’) jusqu’à la limite Ouest.
L’autre portion (A’A) est occupée par un mur très épais qu’on voit se diriger en surface vers le Sud (fig. 5), alors qu’il a fallu le chercher au-dessous du four et du couloir longitudinal grâce à plusieurs sondages (fig. 7).
On le perd de vue au niveau du mur D C pour le voir apparaître de nouveau un peu plus loin à 90 cm au-dessous du sol du couloir C2. Il est ainsi manifeste qu’on a dû le détruire au moment où l’on construisit le mur C D. Ce qui signifie qu’il est antérieur à ce dernier. Par conséquent le mur A’ B qui a le même genre de pisé que C D est également antérieur à A’ A.
D’ailleurs celui-ci conserve son enduit au contact de A’ B. C’est probablement la preuve qu’il a été construit avant lui (fig. 8 et 9).
En le suivant du côté Sud, nous avons mis au jour un complexe architectural dont l’ordonnance nous est encore énigmatique. Mais pour ce qui concerne notre mur A’ A, nous avons remarqué qu’il s’enfonce jusqu’à atteindre le sol vierge à 8 m de profondeur. Tandis que le mur A’ B ne dépasse guère (fondations comprises) les 4,50 m de profondeur, (fig. 10, pi. III).
Nous avons là une preuve supplémentaire de l’ancienneté du mur A’ A par rapport à A’ B. Notre preuve est d’autant plus éclatante que nous avons dégagé à 4,50 m de profondeur deux petites niches creusées dans le mur A’A à 0,50 m au-dessus du sol d’une pièce dont on ne connaît pas encore les dimensions. Deux plats en cé­ramique étaient trouvés en place, (fig. 11). Il y a là sans aucun doute un niveau plus ancien que celui des fours et auquel appartient le gros mur A’ A.
Le mur B F parallèle au mur A’ A semble être pareillement constitué d’un mé­lange de terre, de pierrailles, de tessons ainsi que de chaux et peu de cendres par rapport à (A’ B) et (C D).
Quant au mur extérieur (E F) son dégagement incomplet ne permet pas ac­tuellement d’émettre à son sujet une opinion sûre.
Mais nous avons constaté qu’il est plus récent que le mur B F car celui-ci con­serve encore son enduit dans la partie où il le joint.
Seul le mur Est (A E) a reçu un parement extérieur en petits moellons bien tail­lés. Il semble avoir été ajouté au même moment où l’on décida de boucher la porte près du four Est, car la maçonnerie du mur et celle de la porte présentent même appareillage.

2.7LA TECHNIQUE DU MUR EN PISE

Elle nous est suggérée par les trous d’échafaudage qui parsèment à intervalles réguliers toute la surface des murs et par des constatations faites auprès des maçons tunisiens qui emploient une technique identique.
On installe un coffrage en planches de bois d’une largeur égale à l’épaisseur qu’on veut donner au mur, puis, dans cette sorte de longue caisse d’une hauteur moyenne de 0,60 m, on tasse le mélange qui entre dans la constitution du pisé. Des madiers de bois sont régulièrement encastrés dans le pisé et leur face supérieure protégée de briques ou de pierres plates. Une mince couche de chaux est alors éten­due et sépare ainsi la première tranche de celle qui lui succède. La partie émergeante des madriers reçoit alors une couverture de planches de bois suffisamment large pour permettre aux ouvriers de se hisser afin d’installer le deuxième coffrage.
La même opération se répète jusqu’à l’achèvement du mur. Ce n’est que lorsque tous les travaux sont terminés qu’on démantèle l’échafaudage et qu’on retire les madriers qui laissent ainsi la trace de leur implantation dans le mur.
Mais, si le mur se construit par tranches successives allant naturellement de bas en haut, nous supposons que la couche d’enduit qu’il reçoit se fait plutôt dans le sens constraire. L’avantage de cette pratique c’est, qu’en démantelant l’échafau­dage, on prend soin tout en descendant et en enduisant le mur, de dissimuler les trous laissés par l’enlèvement des madriers. Et ainsi, la couche d’enduit se déroule, comme un tapis, du haut du mur jusqu’à son pied.

2.7LE DECOR

Le monument que nous supposons être une boulangerie à cause de la dispo­sition des fours qui ne sont pas sans analogie avec certains fours à pain que nous voyons encore de nos jours dans la Médina de Tunis, ne présente aucune recherche décorative. Il est conçu dans un but fonctionnel.
Mais, ce monument sobre et d’aspect plutôt austère, contient des colonnes en marbre dont la belle allure ne manque pas de nous frapper.
Deux colonnes, celles qui se trouvent à l’Est, ont des fûts monolithes, alors que les deux autres sont constituées chacune de deux tronçons liés par un puissant mortier.
Le fût de la colonne Nord-Est est taillé dans du grès. Sa longueur émergeante est de 2,48 m pour un diamètre de 0,50 m. Celle du Sud-Est est entièrement en mar­bre rosé de 2,32 m de long sur 0,52 m de diamètre. Quant aux deux autres fûts ils
sont moitié en marbre rosé moitié en marbre jaunâtre. Il est remarquable de cons­tater que si l’on plaçait les tronçons rosés ensemble et les tronçons jaunâtres ensem­ble, nous obtenons des fûts de colonnes parfaitement agencés. Ce n’est que par pure négligence du constructeur que les couleurs ont été interverties.
Il est évident que ces colonnes ont été remployées dans .la boulangerie où elles perdent toute ambition de plaire. Nous avons vu qu’elles étaient presque complè­tement dissimulées dans les murs. Elles devaient appartenir à un monument plus ancien dont l’existence nous a été déjà suggérée par la porte obstruée, les anomalies relevées dans le tracé des fours ainsi que par le mur CD qui séparait deux secteurs présentant des structures architecturales analogues.
Nous avons également dégagé du remblai qui couvrait notre édifice plusieurs éléments de décor qui ne sont souvent que des éléments de remploi, tels les bases de colonnes et les deux chapiteaux découverts près de B2, (fig. 12) ; taillés dans du kadhal très fin, ils constituent les seuls vestiges des colonnes du secteur Nord. Les chapiteaux à peine épannelés- sans aucun décor. Il appartiennent à un type que l’on rencontre assez souvent dans les passages voûtés de Tunis (Sabat).
Le même remblai nous a révélé l’existence d’une garniture en marbre tels les débris de corniche, de corbeîets ou de consoles.
La découverte de deux morceaux de stuc sculpté de motifs rehaussés de pein­tures rouge et bleu, nous a donné l’espoir durant quelques jours de tomber sur un monument plus luxueux. En fait ils proviendraient d’un autre endroit de la Kasbah ou peut-être bien appartenaient-ils à l’édifice antérieur.

2.8LES MONUMENTS HYPOSTYLES

Pour restituer le monument antérieur à la boulangerie il faut évidemment faire abstraction des éléments d’architecture qui ont été ajoutés lors de l’installation des fours et de la délimitation des salles.
Le sondage exécuté au pied du four Est, dans le couloir transversal, nous per­mit de constater que la banquette signalée plus haut, repose sur une couche de chaux, celle-là même qui couvre tout le sol du couloir (fig. 13).
Une couche semblable nous est apparue sous la banquette du fond du couloir ainsi qu’au-dessous et derrière les fours (fig. 14). Il semble bien qu’à l’origine elle devait couvrir tout l’espace occupé par les fours et peut-être bien les salles SI et S2. Nous avons donc là le sol d’un monument hypostyle délimité par les murs A B, B D, D C et A C, exacte réplique de l’ensemble voisin (CDEF) (pi. IV).
Le trait essentiel de chacun de ces deux ensembles dérive des quatre colonnes qui n’étaient pas engagées mais, librement installées au milieu de l’espace rectangu­laire, elles déterminent trois nefs divisées en trois travées. On obtient ainsi neuf compartiments que couvraient probablement neuf voûtes.
La voûte d’arête trouvée effondrée dans la salle S 2 nous donne le genre de voûte qui pouvait être utilisé. Mais il n’est pas exclu que des voûtes en berceau aient été employées conjointement.
Notre tentation est grande d’imaginer une couverture par des coupoles à l’ins­tar de la mosquée de Bab Mardoum (l’Eglise del cristo de la Luz) de Tolède 1 . On peut tout au moins supposer que les quatre colonnes étaient destinées à supporter une coupole centrale ou un lantemon qui donnerait la solution de notre problème d’éclairage grâce aux fenêtres qu’on y aurait aménagées.
Mais aucun indice archéologique ne permet de formuler des hypothèses de ce genre. On ne peut que constater la similitude qui existe entre le plan de notre édifice et celui de la mosquée de Tolède.
La même similitude de plan apparaît d’ailleurs en Tunisie même, au petit sanc­tuaire de Bou Ftata de Sousse 2 . La salle de prière présente également trois nefs di­rigées en profondeur que coupent trois travées aussi larges que les nefs.
Des voûtes en berceau couvrent tout l’édifice qui date de l’Emir el Aghlab Abou Iqal (838-841).
Notre édifice de la Kasbah diffère cependant de celui de Sousse (les piliers dans cet édifice remplacent les colonnes) et se rapproche beaucoup plus de celui de To­lède où les mêmes colonnes disposées de la même manière déterminent trois nefs divisées en trois travées.
L’entrée actuelle face au couloir transversal ne devait pas exister à cette époque car un sondage exécuté devant le seuil nous a prouvé que le mur A C n’avait pas d’ouverture à ce niveau. L’entrée nous l’avons déjà vu, se faisait plutôt par les deux portes dont celle du compartiment A B D C était bouchée alors que l’autre serait restée utilisée après l’installation des fours.
Nous pensons que tous les piliers datent de cette construction. Leurs dimen­sions, variant de l’un à l’autre, ont été calculées dans le but d’obtenir à l’intérieur du rectangle de 10 X 11,5 m, le carré idéal réalisé aux oratoires de Sousse et de Tolède. A l’intérieur de ce carré devaient s’agencer neuf voûtes également carrées.
Mais le constructeur tunisien ne semble pas y avoir tout à fait réussi. Son échec est d’autant plus compréhensible que le mur D C est légèrement en biais et par con­séquent les deux espaces sont légèrement trapézoïdaux.
Quelle était la destination des deux édifices typostyles ? Dans l’état actuel de nos recherches nous n’avons aucune indication d’ordre archéologique ou historique nous permettant de les identifier. Ces ilôts perdus dans un espace archéologique encore en friche ne peuvent fournir les renseignements qu’on exige d’eux qu’après avoir exploré, sinon tout le terrain de la Kasbah, du moins une grande partie.
En attendant cette extension en surface de notre fouille, nous avons tenté des investigations en profondeur grâce à des sondages effectués sous le sol de la boulan­gerie.
Les résultats ont été des plus utiles, car nous avons dégagé plusieurs niveaux marqués par des pavages de chaux successifs et des vestiges de monuments plus anciens.

3L’EDIFICE LE PLUS ANCIEN

Le mur A’ A mis au jour sous le pavage de la boulangerie nous a déjà indiqué que le monument actuel n’a pas été construit sur un sol vierge. De même, nous avons constaté que derrière la boulangerie, à 5 m de profondeur, il existe le pavage d’un monument plus ancien 3 dont A’ A constitue précisément le mur Est 4 (fig. 10 et pi. III).
En plus de ces deux éléments appartenant à l’édifice antérieur (peut-être bien le premier édifice jamais bâti à cet endroit) nous avons dégagé à l’intérieur de la boulangerie à 2 m devant le mur Nord (E F), les fondations d’un mur en terre battue qui a été rasé à la même hauteur que A’ A et qui le coupe à angle droit (fig. 12). Près de ce mur, à 5 m de profondeur par rapport au sol de la caserne française, est apparu un pavage en chaux identique à celui trouvé derrière la boulangerie. Nous le retrouvons à la même profondeur dans plusieurs endroits de la salle S4 ainsi que tout au long de A A’.
On se demande par conséquent si le pavage en question n’appartient pas à l’ancien monument dont les murs ont été rasés lors de la conversion des lieux appelés à jouer un autre rôle.

4LES ATELIERS DE FABRICATION DE LA POUDRE

Les vestiges de ces ateliers apparaissent exclusivement à l’intérieur du quadri­latère (C D E F) (fig. 12). Ils consistent en des cuvettes taillées dans le pisé des deux murs ensevelis sous le sol de la boulangerie et en deux fours contigus de dimensions inégales.
Les cuvettes, d’une hauteur négligeable (quelques centimètres), semblent avoir été beaucoup plus profondes à l’origine ; Le mur qui les contournait a été sans doute détruit lors du pavement de la salle actuelle.
L’une d’elles (fig. 7) a la forme d’un cercle (diamètre = 0,65 m) muni de deux lobes symétriques ; la portion du mur A’ A qui passe devant la salle S 3 ne conserve qu’une moitié de cuvette. Il en est de même pour le mur parallèle à E F, (fig. 12). L’autre moitié, moins solide, a dû disparaître à l’occasion d’une démolition, alors que seule la partie taillée dans le mur a été conservée en même temps que lui.
L’angle formé par les deux murs ensevelis sous la salle S4, est occupé par un grand four en pierre d’aspect ovale qui communique avec un four circulaire moins grand (1,15 m de diamètre) bâti en briques cuites (fig. 12). Les deux fours dessinent un cercle lobé qui s’apparente avec les soi-disant cuvettes. De nombreux fragments de soufre ont été recueillis dans les environs de ces monuments. Ce détail nous a suggéré l’idée qu’il s’agit d’installations destinées à préparer la poudre. Il est, en effet, bien connu que le soufre est utilisé dans la fabrication des explosifs. Nous savons, par ailleurs qu’il a existé à la Kasbah des ateliers où l’on préparait les muni­tions de la garnison chargée de la défense de la citadelle.
Dans notre recherche de la destination des supposés fours, nous avons été aidé par la découverte, au Nord de la boulangerie (sondage D), de constructions presque identiques aux nôtres, mais mieux bâties et mieux conservées, (fig. 15). Le mélange de cendres et de charbon qui les remplissait, contenait en grande quantité, du sou­fre de la poudre et du plomb.
Par conséquent, il y a lieu de croire que les vestiges de la salle S4 appartiennent effectivement à un atelier de préparation de la poudre qui, dans la stratigraphie que nous essayons de définir, représenterait une étape intermédiaire entre le monument le plus ancien et l’édifice actuel.
A cette étape intermédiaire correspond le pavage également constitué d’une couche de chaux qui se trouve justement à 0,40 m sous le sol de la boulangerie et à environ 0,50 m au-dessus du niveau le plus bas (fig. 12).

4Essai d’identification et de datation des monuments

4.1LES MONNAIES

La plupart sont en cuivre et datent du Sultan Ottoman Mustapha (1171-1187 Hg / 1757-1773 J.-C.) Il s’agit principalement de. fels (diamètre 18 mm) dont les plus anciens sont de 1171 ; les plus récents sont de 1197 et portent une légende où figure le nom du Sultan Abdelhamid (1187-1203 Hg , 1/77-1787 J.-C). Les fels sont une création de Mohamed Bey qui fit frapper les premiers du genre en 1171 5 . Il portent au droit le nom du Sultan et au revers la date et le lieu de frappe Tunis. Les derniers en date ont été frappés en 1198 sous Hamouda Pacha. Ils sont restés très longtemps en circulation après lui 6 .
Les spécimens de fels que nous possédons s’échelonnent donc entre 1171 et 119″ nous livrant pratiquement tous les types connus de fels depuis leur apparition 7 .
Dans un lot de cinq petites monnaies rondes en argent (diamètre 14 mm) por­tant le nom du Sultan Mahmoud, nous avons déchiffré le millésime de deux pièces seulement. Ce sont des caroubes frappées par Ali Pacha (1147-1162 Hg; 1734-1756 J. C.) en 1152. Il s’agit sans doute des premières caroubes mises en circulation par suite de la dépréciation du nasri carré au milieu du XVIIIe siècle 8 .
On se demande justement si l’unique monnaie carrée en argent livrée par la fouille n’est pas un nasri 9 frappé par Hussein Ben Ali avant la création de la caroube par Ali Pacha.
Le mauvais état de cette monnaie trouvée à quelques centimètres sous le sol de la boulangerie nous empêche de lire convenablement les légendes ; surtout le mil­lésime est tronqué. Placé à gauche du revers on ne lit distinctement que le chif­fre 59. Farrugia de Candia faisait une remarque semblable à propos de nasris frap­pés sous Hussein Ben Ali 10 . Or celui-ci régna de 1117 à 1147 Hg (1705-1734 J.-C). Il ne peut donc s’agir d’une monnaie frappée par lui étant donné que l’année 59 n’entre pas dans les limites chronologiques de son règne.    
II est plus problable que le millésime complet soit 1059 et la pièce serait par
conséquent mouradite. On connaît en effet au Musée du Bardo de Tunis, un nasri
frappé en 1049 11 dont l’écriture en naskhi présente une facture un peu grossière
analogue à celle de notre pièce.
Grâce à cette monnaie, il nous a été possible de restituer la légende du revers de la nôtre que nous lisons ainsi :
Que [Dieu] perpétue sa victoire    
frappé à Tunis année 1059    
Le nasri de la Kasbah serait plus récent de dix ans. Il se peut même qu’il ap­partienne à l’une des dernières frappes du XVIIe siècle. Car les monnaies carrées semblent avoir été abandonnées sous les derniers mouradites et ne furent remises en circulation qu’au début du XVIIIe siècle grâce à Hussein Ben Ali 12 .
Dans ces conditions la présence d’une pièce mouradite dans un lot de monnaies husseinites ne peut être dû qu’au hasard, d’autant plus que non loin de son empla­cement et au même niveau nous avons trouvé des pièces datant de Musthapha Khan. Elle a été probablement transportée dans le remblai qui a servi pour soutenir le sol de la boulangerie.
Elle n’est pas, d’ailleurs, l’unique monnaie ainsi perdue dans “le remblai. Une monnaie en cuivre aghlabide à été trouvée dans l’un des grands fours de la boulan­gerie, alors qu’une deuxième, également en cuivre, dégagée des cendres des instal­lations de la salle S4, semble être d’époque byzantine.
S’il est hors de question de vouloir tirer de l’emplacement de ces pièces des conclusions d’ordre chronologique ou stratigraphique, il est toutefois permis d’y voir, dans une certaine mesure, des témoignages sur la vieille occupation de tout le site de la Kasbah.
Enfin, en raison de la prédominance des pièces du XVIIIe siècle, nous présu­mons que notre monument appartient à cette époque. Mais il est indispensable de confronter les données archéologiques et numismatiques avec les sources historiques.

5LES SOURCES HISTORIQUES

Leur dépouillement exhaustif nécessite un temps beaucoup-long que celui dont nous avons disposé depuis le début de la fouille. En particulier, il est indispensable de consulter les archives de Dar el Bey.
Aussi nos conclusions sont-elles provisoires car elles ne reposent que sur quel­ques données fournies par des auteurs arabes et chrétiens qui ont parlé de la Kasbah de Tunis.

4.2LA PENURIE DE POUDRE EN 1752

C’est ainsi que Poiron racontait dans ses Mémoires 13 les événements de la ré­volte du Prince Younès contre son père en 1752 et, à ce propos mit l’accent sur la grande pénurie de poudre à canon dont souffrait l’armée des insurgés lors de l’oc­cupation de Tunis et de sa citadelle, la Kasbah. Younès envoya à Malte un bateau qui en revint avec la poudre pour une somme considérable 14 . Ceci n’étant pas suf­fisant, il s’adressa à tous les consuls qui lui jurèrent qu’ils n’en avaient point. Alors «ce Prince ne sachant plus de quel côté se retourner, écrivait Poiron, trouva enfin un Turc du Levant qui lui offrit de lui fabriquer de la poudre en assez grande quan­tité pour lui fournir journellement ce qui pourrait lui être nécessaire». L’expédient ne réussit point et de nouveau le Prince se trouva complètement démuni.
«Quant les Askers n’ayant plus de poudre, en demandèrent à Younès, il leur répondit de se battre avec le Yatagan. Ils sortirent de chez lui, écrivait Mohamed Ben Youssef, en disant qu’il les avait trahis et qu’il ne leur restait plus qu’à chercher leur salut dans la fuite».
La raison de cette pénurie, est que le Bey Ali Pacha prit la précaution de trans­porter au Bardo la poudrière de la Kasbah avant que son fils ne l’occupât. «Le tra­vail exigea plusieurs jours et dut être effectué à l’aide de charrettes 15 

4.3LE PROCEDE D’EXTRACTION DU SALPETRE

Le même Poiron nous citait les trois produits nécessaires à la préparation de la poudre : le soufre, le salpêtre et le charbon. Mais notre attention a été surtout retenue par le procédé employé pour obtenir le salpêtre. Et à ce propos nous avons
trouvé deux descriptions qui illustrent admirablement nos installations de la salle S 4. La première est de l’Anglais Th. Shaw qui fit un voyage dans la Régence de Tunis en 1732, tandis que la deuxième est du Français Desfontaines qui visita la Tunisie entre 1783 et 1786.
«Le salpêtre que les Arabes appellent Maileh Haï ou sel vif, écrivait Shaw, ne se trouve jamais en substance ou par morceaux que je sache. On le tire toujours de la terre ; pour cet effet on construit des auges de briques ou de pierres avec des grilles de bois au fond; on les garnit de nattes de feuilles de palmier ou de genêt. Ensuite on les remplit de terre imprégnée de salpêtre; on les arrose d’eau tous les 6 ou 8 heures pendant cinq ou six jours de suite. L’eau en passant par cette terre entraîne avec elle les particules vitreuses. Après avoir ramassé une quantité suffisante de cette saumure, on la fait bouillir dans des chaudrons et on la raffine.» 16 .
Mais beaucoup plus éloquent est le texte de Desfontaines où nous retrouvons non seulement la description détaillée des installations que nous avions dénommées cuvettes ou fours, mais encore la manière dont on s’en servait. Il s’agissait de cons­truire une fosse qu’on perce d’une ouverture qui communique avec une autre fosse plus petite située plus bas ; on fait tapisser le fond de branchages et de grosse pierres. La grande fosse est alors remplie de terre qu’on arrose d’eau plusieurs fois par jour. Le sel de vitre que contenait la terre se dissout et il est entraîné dans les cavités infé­rieures. On fait bouillir la solution puis on laisse refroidir.
Enfin l’eau est transvasée et l’on recueille le salprêtre cristallisé sur les parois des vases 17 .
Quant au soufre, il était importé d’Europe. «Les Arabes entendaient asse2 bien l’art de grener la poudre», remarquait Shaw, en ajoutant toutefois, «que cette poudre est de qualité inférieure à celle qu’on fabriquait en Europe».
En 1752 les locaux où l’on fabriquait et emmagasinait la poudre étaient donc délaissés. Nous supposons qu’on a dû les convertir à un autre usage. Lequel ?

4.4FONDATION DE LA BOULANGERIE

En 1806 il est noté dans l’histoire d’Ibn Abi Dhiaf 18 que le Bey Hammouda Pacha ordonna que les soldats des casernes fussent approvisionnés gratuitement en
pain. Car, précise l’historien tunisien, avant cette date ils achetaient eux-mêmes leur pain avec l’argent qu’ils gagnaient à la sueur de leur front. En application du décret beylical tout le monde, y compris les gens de zawiya, étaient astreints à donner le dixième de la récolte de blé qu’on emmagasinait dans les silos de la Rabta.
Faut-il entendre par là, qu’à partir de 1806 les soldats des casernes se mirent à fabriquer eux-mêmes leur pain grâce au blé que leur donnait le bey ? Il faut d’abord être sûr qu’ils ne le faisaient pas auparavant avec la différence qu’ils payaient eux-mêmes leur blé. Car, pour être prêts à soutenir de longs sièges, il leur était utile si­non indispensable de pouvoir fabriquer sur place cet élément fondamental dans la nourriture qu’est le pain.
A part cette brève et lointaine allusion qui n’implique pas forcément la fonda­tion d’une boulangerie en 1806, les textes ne nous ont rien appris qui puisse dater précisément notre édifice.
Mais à la lumière des observations stratigraphiques il est certain que la boulan­gerie a succédé aux ateliers de poudre et par conséquent elle est postérieure à 1752.
Il est même probable qu’elle appartient aux dernières décades du XVIIIe siècle, car nous avons déjà vu qu’elle n’a pas immédiatement succédé aux ateliers mais deux monuments hypostyles intermédiaires l’ont précédé et par conséquent ce sont plutôt eux qui après 1752 ont occupé l’emplacement de la poudrière.
C’est à eux aussi qu’appartiennent les superstructures de la boulangerie tels que les murs extérieurs, les colonnes, les plafonds tandis que les fours, les murs de sépa­ration, les salles, la nouvelle entrée,etc…ont été ajoutés en vue d’obtenir un nouvel édifice adapté aux nouveaux besoins.

4.5FONDATION DES ATELIERS DE POUDRE

En observant de très près les briques utilisées dans l’auge de la salle S4 nous avons été frappés par leur très mauvais état de conservation ; comparées avec celles employées dans les fours de la boulangerie et, mieux encore, avec celles des ateliers du sondage (D), elles donnent l’impression d’avoir servi pendant plusieurs centaines d’années, alors que ces dernières appartiennent, sans aucun doute, à une époque plus récente.
Les installations du sondage D, à l’instar de la boulangerie, représentent, en effet, la dernière étape de construction avant la caserne française. Or nous savons qu’en 1828, le Bey Hussein Pacha (1239-1251) (1824-1835) ordonna la construction de la «Maison de la poudre» (Dar-el-Baroud) à la Kasbah 19 . Il n’est pas impossible
que les vestiges du sondage D appartiennent à cette fondation car à partir de cette date il n’a jamais plus été question de créer des fabriques de ce genre 20 , Les deux usines de la Kasbah et du Bardo devaient d’ores et déjà suffire aux besoins de l’ar­mée beylicale.
C’est depuis l’occupation ottomane que les armes à feu se généralisèrent en Tunisie.
Les villes principales de la Régence étaient gardées par un corps d’occupation formé de 4 à 5000 janissaires dont l’armement était représenté par l’arquebuse et le canon. Mais nous ignorons si l’on avait fabriqué de la poudre à la Kasbah depuis cette époque. Seul l’aspect très usé des ateliers abandonnés en 1752, nous laisse sup­poser que la chose est possible étant donné l’importance du rôle assigné à la cita­delle de Tunis depuis sa fondation.
L’emplacement des ateliers serait aussi un autre indice de leur ancienneté rela­tive. Les murs rasés dégagés sous la boulangerie sont étroitement liés avec les mo­numents que nous avons découverts au Sud et à l’Ouest de la fouille qui appartien­nent sans aucun doute à la première construction hafside ou mouminide. Or nos ateliers de poudre représentent la deuxième phase d’occupation. Ne serait-ils pas, par conséquent, l’une des réalisations de Sinan Pacha après l’extinction du royaume hafside ?
Quand l’ordre était rétabli ainsi que l’autorité attomane, Sinan Pacha entreprit en effet de grands travaux de restauration de la Kasbah terriblement endommagée, qui fut de nouveau affectée au service des nouveaux gouvernants de la Tunisie au nom du Khalifat ottoman. Nous sommes convaincus que l’une des précautions pri­ses par Sinan Pacha a été justement de pourvoir la Kasbah des installations capables de fournir aux janissaires la poudre dont ils avaient besoin.
Mais la Kasbah n’a pas encore révélé tous ses secrets et les sources historiques n’ont pas été complètement explorées. Aussi nos affirmations ne peuvent être que de simples hypothèses de travail qu’il faudra vérifier au fur et à mesure de l’avance­ment des travaux.

5BREF APERÇU HISTORIQUE SUR LA KASBAH

Au stade actuel du déroulement de ces travaux de fouille, il nous apparaît clai­rement que la Kasbah conserve d’importants vestiges dont la parcelle déjà fouillée ne représente qu’une infime partie par rapport à ce qui reste à faire.
Les vestiges de la Kasbah conservés par une chance inouie sous le sol de la caserne ^française rasée au lendemain de l’indépendance de la Tunisie, sont à la fois un témoignage et un symbole. Au même endroit se trouvent, en effet, réunis des réminiscences de plusieurs siècles d’art et d’histoire; l’art et l’histoire de la Tunisie depuis qu’une dynastie véritablement tunisienne a vu le jour sur le sol tunisien jus­qu’au jour où les troupes du Général Maurand ont foulé ce même sol, occupé la Kasbah et transformé la citadelle musulmane en caserne française.
Depuis qu’Abû Zakariyyâ jeta les bases politiques et religieuses de l’indépen­dance ifriqyenne en se parant du titre prestigieux d’«Al-Amir al-Ajal», en frappant monnaie à son insigne, en interdisant la prononciation du nom du Khalife de Mar­rakech dans la prière du vendredi, Tunis devint alors la capitale d’un royaume et la Kasbah le centre à la fois politique, militaire et administratif de ce royaume. Grâce à de grands travaux commencés par le même Abu Zakariyyâ puis terminés par son fils et successeur, le Khalife al-Mostansir, la Kasbah était beaucoup plus qu’une forteresse chargée de la défense de la ville. A l’intérieur de ses murs, elle abritait des palais immenses et luxueusement décorés qui ont fait l’admiration des chroniqueurs et voyageurs de l’époque.
Un voyageur brugeois, Adorne, de passage à Tunis dans la deuxième moitié du XVe siècle nous disait ceci à propos de la Kasbah : «A l’occident de la ville se dresse un château très grand et très beau appelé Kasbah, où le Roi réside la majeure partie de l’année. Il a un périmètre d’une ville et demi et il est très bien défendu bien qu’il ne soit pas entouré de remparts… Ce château est à l’intérieur si beau et si riche en ses bâtiments que j’aurai peine à le décrire» 21 .
Ibn-Khaldoun n’a pas pu lui aussi contenir son enthousiasme et son admira­tion face à la citadelle de Tunis. Il a été, en particulier, frappé par le grand pavillon dressé par El-Mostansir : «cet édifice, écrit-il, forme un portique large et élevé, dont la façade à deux battants artistement travaillés en bois, est d’une telle grandeur que la force réunie de plusieurs hommes est nécessaire pour les ouvrir et les fermer… Ce bâtiment par la beauté de son architecture aussi bien que par ses vastes dimen­sions, offre un témoignage frappant de la grandeur du prince et de la puissance de l’Empire» 22 .
    
Qu’est devenue cette Kasbah hafside après les Hafsides ? Il semble que les con­quérants espagnols et turcs ont occupé les lieux laissés par leurs prédécesseurs. Ce qui est certain c’est que l’emplacement a continué à jouer un rôle important su­bissant de la même manière les hauts et les bas des grands événements qui ont bou­leversé la capitale.
Ainsi, sous le dernier Hâfside Mohamed Ibn ai-Hassan, la Kasbah fut ouverte aux troupes espagnoles. Charles Quint y logea avec sa suite tandis-que son armée stationnait sur le plateau voisin désormais appelé «place de l’Empereur» ou «pla­teau Charles Quint» 23 . Les appartements de cette Kasbah, nous dit-on à cette épo­que, étaient d’une magnificence extraordinaire et meublés royalement.
Plus tard, quand les troupes ottomanes débarquèrent en force, ils trouvèrent Tunis presque en ruines et les habitations désertées ainsi que la Kasbah. Il a fallu attendre que l’ordre et la sécurité soient rétablis sous les Deys pour que des travaux importants fussent entrepris et la Kasbah de nouveau remise en état pour remplir le rôle politique et militaire qu’elle a toujours rempli depuis qu’elle a été fondée par Abdelmoumen en 1160.
Désormais ce fut là que le nouveau Dey était élu et recevait les témoignages d’obéissance de la part du corps de la milice et des notables de la ville. Certains Deys, comme le Dey Mohamed Laz, avait choisi d’y habiter. Il semble que le dernier Pacha qu’y résida était Fathi Pacha. Mais cette désertion de la part des gouvernants de Tunis n’a point entamé le prestige de la citadelle qui resta, comme auparavant, l’endroit par excellence où se jouait le sort des Princes et des différents prétendants au pouvoir. C’était là que se nouaient et se dénouaient les grands événements que connut la capitale dont le dernier en date, le plus considérable, se déroula le 10 oc­tobre 1881 où deux bataillons d’infanterie et une batterie d’artillerie de l’armée fran­çaise pénétrèrent pacifiquement par le «Bab Ghadr» qui donnait sur le Lac Sédjoumi. Quelques années plus tard, la citadelle était abattue et sur ses décombres s’éleva le bâtiment qui fut longtemps le symbole de la domination étrangère, La caserne.
Sur ce haut lieu de l’histoire tunisienne n’est-il pas en fin de compte, légitime que la Maison du Parti prenne la place de la caserne française et dans ce prestigieux témoignage du présent, ne faut-il pas lier le passé à l’avenir en conservant en sous-sol les ruines de la citadelle hafside?
Abdelaziz DAOULATLI Tunis, Novembre 1969
 

1  G. Marçais, U architecture musulmane d’occident.Paris, 1954, p. 151-152.
2  Ibid., p. 24.
3  Infra, page 7.
4  Le sondage atteint la terre vierge à 8 m de profondeur – (il n’a pas révélé de niveau plus ancien).
5  Ferrugia de Candia, Monnaies Husseinites, Revue Tunisienne, 1935, p. 34.
6  Ibid, année 1934, p. 83.
7  Ibid, année 1935, p. 26-31.
8  Ben Youssef el Bbji Mohamed, Mechra el Melki, Traserres et Lasram, Soixante ans d’histoire de la Tunisie,
Revue Tunisienne, 1935, p. 525.
9  L’appelation «nasri» remonte au quatrième souverain almohade ainsi Nasri qui frappa des dirhems carrés à
l’instant de ceux d’Abdelmoumen. On continue la frappe des nasris sous les Hafsides et après la prise de
Tunis par les Turcs. Dès 1574 le gouverneur turc Haïdra Pacha fit frapper des nasris au nom du Sultan de
Constantinople, d’où l’appelation «nasri Haïdra» répandue au XVIe siècle, cf. Monchicou^t Kairoium et
les Chabbia, Revue Tunisienne, 1934, p. 54 sq.
10  Op. cit., 1935, p. 19.
11  Ibid, p. 24.
12  «Voilà ce que nous avons vu du temps du Bey Hassine c’est lui qui créa cette monnaie carrée: qui était en
circulation à la fin de son règne.» In Machra el-Melki, Ibid, p. 525.
13  Cité dans : «Histoire de la ville de Tunis» Ch. R. Dessort, Paris 1924, p. 88.
14  Op. cit, Mechra el Melki, 1898, p. 487.
15  Ibid, p. 846.
16  Th. Shaw, Travelo, or observations relating to severalparts of Barbary and the Levant. 2ème édit., Londres, 1757.

p. 148.

17  Desfontaines, fragments, d’un voyage dans la Régence de Tunis et d’Alger fait de 1786, p. 121.
18  Ibn Abi Dhiaf Ahmed, Athaf ahl az-zaman bi Akhabari Tunis wa ahd al-aman, publication de Secrétaire

d’Etat aux Affaires Culturelles, Tunis, 1963, T. III, p. 39.

19  Op. cit, Ibn Abi Dhiaf, p. 191.
20  Si Mustapha Zbks attribue cette fondation à Hammouda Pacha (1196-1229 Hg/1781-1813 J.C) en même temps que la fonderie de la Hafsia, cf. S. M. Zbiss, Monuments Musulmans d’époque Husseinite .Tunis 1955 p. 38.
21  Brunschwig, Deux récits de voyage inédits en Afrique du Nord au XVe siècle. Abdelbasit B. Halil et Adorne
Paris 1936, p. 190.
22  Ibn Khaldoun Abderrahmane Kitab al-Ibar, 7 V., Boulak, 1284 H; trad. de Slane, Histoire des Berbères
T. II, p. 339.
23  A l’emplacement du collège Sadiki. Près de ce collège existe encore une impasse appelée impasse Charles Quint.

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Ali DABBAGHI
Ali DABBAGHI

Ingénieur Général spécialiste des systèmes d'information et de communication, مهندس عام في نظم المعلومات والاتصالات General Engineer information and communication systems

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